samedi 14 juillet 2012

There and Back Again, 900km de 4x4 dans tes dents.

Dimanche dernier, L., B. et moi sommes partis en compagnie de 15 autres compagnons de route (et non pas 13 nains) en direction de la ville bolivienne d'Uyuni. Cette expédition (en 4x4, vous l'aurez compris) aura duré trois jours pour la majorité et quatre pour le seul valeureux à en revenir1 et nous aura fait traverser des paysages magnifiques, du désert aux volcans en passant par d'impressionantes lagunes et le plus grand salar du monde. En voici le récit.

Jour 1: le départ de San Pedro se fait à 8h du matin, dans l'obscurité relative d'un des rares jours sans soleil de la ville. La Cordillière au loin est surplombée de nuages sombres, mais il ne neige pas (encore). Nous passons la frontière chilienne et je perd mon titre de séjour provisoire (comme presque tout le monde, en fait). Nous contournons le volcan Licancabur culminant à 5900m, son voisin décapité de 5700m (imaginez avant l'explosion, du coup...)2 pour atteindre la frontière bolivienne. Enfin, frontière, c'est un bien grand mot. Disons plutôt la cabane en pierre qui sert de poste frontalier délivrant les visas et la vague barrière aussi facile à coutourner qu'un chat écrasé. En plus pour l'atteindre on a dû quitter la route bien goudronnée menant en Argentine pour un chemin de terre. S'ils avaient voulu faire une blague sur les différences économiques des pays, ils n'auraient pas pu mieux faire. On prend un copieux petit-déjeuner dans une autre cabane proche (d'ailleurs tous les repas seront copieux, je vais donc arrêter de le préciser, il faudra vous en souvenir), nous formons les groupes de 6 (nous serons 7: A., charmante - au début - chilienne de 24 ans, mariée (MARIÉE A 24 ANS!!) et voyageans seule ne désirant pas se retrouver avec les 5 membres de la famille faisant l'expédition), et entamons notre périple en Bolivie, pays "donde todo es posible y nada es seguro" ("où tout est possible et rien n'est sûr"), selon le conducteur du mini-bus nous ayant accompagné jusque là.
Premier arrêt à quelques kilomètres, la laguna blanca, presque entièrement gelée. Ensuite, arrêt à la "fameuse" laguna verde où nous saisissent un vent très froid et la beauté des roches volcaniques avoisinantes.6 Autour, les montagnes (qui sont en fait des volcans morts et pas enterrés, comme toute la cordillière) sont magnifiques7, teintées de rouge (peroxyde de fer) et de jaune (soufre). À côté de la lagune, il y a un petit bassin thermal à 38 degrés (je trouve pas comment faire le symbol sur ce clavier8), mais nous (L., B. et moi) avons beaucoup trop froid la flemme de nous baigner (en plus, j'ai déjà testé les thermes, et oui, on se cherche les excuses qu'on peut).
La parada 9suivant a lieu dans l'un des premiers lieux vraiment impressionant, à 4800m (soit à une pelleté près, la hauteur du Mont-Blanc) et sans la moindre neige: les geysers de lave. Il s'agit d'un ensemble de cratères d'où surgissent des volutes de fumées pour les geysers de vapeur d'eau ou des petites marres de laves en ebullition (à environ 100 degrés celsius), de couleurs différentes selon leur composition (grisâtre, marron ou noir). Autour de cela gisent des pierres volcaniques noires, résultat de l'explosion du volcan à deux ou trois kilomètres de là. Ce lieux, comme beaucoup de ceux que nous verrons et de ceux que j'ai déjà pu voir, est parfaitement inhabitable et je redoute le jour où l'expansion humaine le détruira, transformant la Terre en Coruscante et signifiant certainement la fin proche d'une humanité détachée de la nature depuis trop longtemps. C'est beau ce que je raconte. On dirait un chaman hippi. Mais c'est au groupe punk Éric Panic que ça me fait penser, et à leur chanson Le Jour où ils viendront cracher sur nos tombes. Voilà, voilà.
On continue notre route, rouler dans le désert c'est vraiment awesome et on atteint notre refuge de la nuit où l'on prend le déjeuner (bon), on se rend compte qu'on va vraiment se les peler cette nuit et puis on rembarque pour aller voir la laguna colorada tout près. Elles tient son nom des longues bandes de couleur rouge qui la compose. Située une vingtaine de mètres en contrebas de la plaine de cendres noires qui l'entoure, la couleur rouge de la majeure partie de son contenue n'a rien à voir avec une eventuelle reconstitution quotidienne et à balles rélles d'Omaha Beach mais provient au contraire des algues et de l'ocre (le minéral éponyme de la couleur) qui en tapissent le fond. Pendant ma contemplation, je me retrouve face à une image des plus magnifiques. Elle aurait bien mérité une photo, tiens. À gauche, le lac, rouge, avec une bande d'eau transparente dans le fond. Des flamants roses y cherchent de la nourriture. En face moi, dans le prolongement de mon regard, une langue de boue noire fait la jonction et la bord gris-blanc de cendres coloré de-ci, de-là par le jaune de la végétation éparse et du soufre. À droite, la pente noire qui mène au plateau. â l'arrière plan se dessine la cordillière et ses volcans sans neiges sauf un sommet suffisament haut pour en être partiellement recouvert et s'enfoncer dans les nuages bas de la fin de journée.
De retour au refuge, nous combattons le froid autour d'un thé tandis que l'enfant de la famille qui semble vivre là joue tranquillement dehors pendant que le soleil se couche et que la température tombe. Le repas arrive et nous dînons tous ensemble, tachant de faire connaissance entre membres de la même expédition, et pleurant sur nos vies à cause du froid de la chambre. Face à ce dernier problème, L. et B. opterons pour la solution radicale suivante: dormir ensemble dans le lit une place en doublant absolument tout: duvets, draps et convertures. Elles ont apparement réussi à avoir chaud, moins à dormir... Un dernier détail pour achever cette journée: le rideau de l'une des fenêtres de la chambre n'est rien d'autre qu'un drap SNCF. À part ça, on est à 4300m au dessus de la mer, de l'autre côté du globe. Normal.

Jour 2: Après une nuit visiblement difficile pour la plupart d'entre nous, nous repartons pour la plus longue journée du périple. On quitte la lagune pour s'enfoncer dans le désert accompagnés par des nuages sombres et quelques éclaircies. Au milieu d'une plaine de sable, el Arbol de Pierda (arbre de pierre) constitue le premier arrêt. Si la formation volcanique qui donne son nom au lieu est effectivement rigolote, le reste du lieu, constitué du même phénomène, mais dont la plus grande particularité est de parfois donner l'impression d'avoir été découpé au laser, est moins intéressant. La traversée du désert reprend, avec son lot de dunes franchies, on fait une pause devant une lagune finement gelée, la voiture cale mais redémarre avant que ça ne devienne drôle et on atteint un grand lac peuplé d'un nombre important de flamants roses ayant, d'après un panneau10 l'interdiction de voler. En bon rebelles, ils s'en foutent, courant sur l'eau pour se donner de l'élan, et obéissant d'instinct aux lois de la physique en démarrant systématiquement face au vent.
Après un pique-nique sur ce même lieu, nous entamons un long trajet sur une piste plus que cahoteuse avant de nous arrêter dans un véritable paysage martien (rapport à la couleur des roches, rien à voir avec la présence de petits trucs verts tirant des rayons lasers et allergiques à la musique): comme si une mer de lave, agitée, c'était tout à coup figée, les vagues encore suspendues, prêtes à s'écrouler... Peut-être l'un de mes lieux préférés jusqu'à présent. Nous poursuivons notre route, sur une piste en meilleur état d'où s'échappe parfois des bouts de tuyaux indiquant l'évacuation artificielle d'eau de pluie sous la route, mais toujours dans le désert. Nous rejoignons ainsi le salar de Chiguana, plat mais pas encore tout à fait blanc, pour une longue traversée de cette étendue apparement sans fin. Nous dépassons une ancienne mine de soufre11 à l'entrée puis soudain, sur le flanc d'une colline que nous longeons, apparaît un petit cimetière, petit bosquet de croix noires sur fond blanc. De l'autre côté de la colinne, une ville fantôme fait son apparition, maisons et école en ruines. Au bout de ce village, une poignée de militaire s'active, creusant devant des sortes d'énormes champignons noirs leur servant apparement d'habitat. Nous franchissons alors une voie de chemin de fer semblant venir en ligne droite de l'infini (also known as horizon). À gauche, des poteaux électriques sans fils forment une ligne électriques fantaisiste à travers le désert.
Nous quittons le salar pour rejoindre le désert poussièreux et sa végétation (herbes et cactus), la pluie est visible au loin sur les montagnes, nous croisons quelques champs à la sortie d'un village dont la vie m'est inimaginable et nous atteignons enfin l'hostal où nous allons passer la nuit: l'Hostal de Sal qui porte bien son nom puisqu'absolument tout est en sel: du sol en poudre de sel aux murs et mobilier en briques de sel! Un peu groggi par le voyage je prend un quart d'heure à l'écart des autres pour prendre mes notes (non, je n'écris pas tous mes posts de mémoire) en écoutant en boucle Wankelmunt - One Day12. Je repense au trajet et à l'expérience du voyage en 4x4. Si nous roulons parfois dans le sillage les uns des autres, ils arrivent aussi que les trois voitures de notre expédition roulent de front, séparées de quelques dizaines de mètres. Dans ces moments, la vision d'une voiture fonçant dans le désert, soulevant derrière elle un nuage de poussière, m'évoque des images du Paris - Dakar à la télé dans un chalet et à la lumière d'un feu de bois. Souvenir fabriqué? Toujours est-il que tout ceci me donne une envie folle d'apprendre la moto et le 4x4 pour traverser le désert par moi-même la prochaine fois. Ce doit être un véritable plaisir.
Le repas est bon et convivial (peut-être que la douche chaude n'est pas étrangère à la meilleure ambiance!), nous faisons tous plus ample connaissance, ça parle dans plein de langues: espagnol, anglais, allemand, français... J'adore ces rencontres collectives sur la route où tout le monde parle deux ou trois langues (sauf, souvent, les anglophones, mais heureusement pas tous) et où il faut changer sans cesse d'idiome, donnant parfois lieux à de bons fous rires lorsque l'on se trompe de langue pour notre interlocuteur.

Jour 3: La nuit aura été meilleure et moins froide que la précédente et pendant que tous se préparent, je remarque devant l'hôtel des cactus dépouillés de leur enveloppe épineuse. Apparaît ainsi le bois que je mentionnais dans le post précédent, et l'on peut alors remarquer qu'il constitue une enveloppe interne creuse du cactus, ce qui change considérablement de ce que nous avons l'habitude d'appeler "bois"!
Une fois les sacs arnachés sur les toits des 4x4, nous entrons dans le salar de Uyuni, le plus grand au monde (12000km2). C'est une immense étendue blanche (immaculée) et lisse (grâce aux pluies) qui s'étend à perte de vue, effacant tout repère et condamnant les inexpérimentés à errer ou à s'embourber dans les zones dangereuses. Pour s'orienter, nos guides-chauffeurs se fient aux montagnes à l'horizon qu'ils savent reconnaître et qui leurs indiquent des directions précises à l'aide de grands panneaux lumineux, un peu comme les types dans les aéroports. Après plusieurs minutes de routes dans un blanc parfait, apparaît à l'horizon l'île Incahuisa ("maison des Incas" en quechuan13) que nous allons visiter. Couverte des cactus déjà mentionnés plusieurs fois (et qui grandissent d'1cm par an, ce qui permet de se rendre compte de leur âge multi-séculaires, certains faisant plus de 10m). Le ciel est d'un bleu pur répondant au blanc immaculé du salar. Du coup, l'île rocheuse et terreuse mérite bien d'être nommée "île" puisque depuis ses hauteurs, on croirait à des lagunes et des péninsules. Je m'asseoit quelques minutes à l'écart, le regard perdu dans le décor, ne pensant à rien. C'est agréable.
Nous poursuivons la traversée en faisant une longue pause pour prendre les fameuses photos que tout le mode fait: le paysage étant exclusivbement blanc et désert, la perspective est trompée et on peut créer des illusions d'optique rigolottes mais rarement inédites. Nous atteignons enfin la limite du salar pour le déjeuner vite expédié. (Anecdote: le panneau "No Votar Basura" au lieu de "No Botar Basura". Cette dernière phrase signifiant "Ne pas jeter de déchets", et "Votar" voulant bien dire ce que l'on croit, je vous laisse comprendre en quoi c'est drôle.)
Nous filons en direction d'Uyuni, le terminus de l'expédition pour 17 membres de celle-ci. Chemin faisant, nous croisons des exploitations de sel (il faut casser le sol et récupérer des couches d'une dizaine de centimètres avant de l'acheminer vers un lieu où le sel sera traité pour enfin arriver sur nos tables). Avant de descendre, nous faisons une dernière pause au cimetière de trains où reposent des locomotives servant auparavant à acheminer du minerai vers le Chili. On y voit deux trains étrangement peu abimés pour des trains censés être entrés en collision. On y voit aussi d'énorme tags d'équation physique. L'un étant la formule de la force gravitationelle, l'autre étant attribuée à Albert Einstein, est la formule de la relativité générale.
Finalement, le voyage prend fin dans un joyeux bazar à l'agence et après avoir pris une douche à l'hôtel des filles, je m'apprête au retour, seul avec le chauffeur dans un 4x4, quittant un peu à regret le groupe dans lequel une bonne ambiance régnait et la ville d'Uyuni où se prépare une fête pour le soir même. Sur le trajet du retour, nous ramassons l'un après l'autre deux auto-stoppeurs (dont l'un paye son voyage) et retournons dans le désert, au début en suivant une ligne à haute tension ce qui est un spectacle particulier. Nous roulons plus tard que de coutume, le but étant moins de visiter que de retourner à San Pedro. Ceci donne lieu à une pause-pipi au milieu du désert, juste après la traversée d'un petit río, sous les étoiles, pendant que le chauffeur resert les roues de son véhicule à la lumière de son portable. Regarder la route défiler à la seule lumière des phares a quelque chose d'hypnotisant. La pause nocturne se fait dans un refuge similaire à celui du premier jour. Je partage mon repas avec d'autres français sur la même route que moi et vais me coucher, seul dans mon dortoir, au milieu de rien, pendant que le guide démonte son 4x4.

Jour 4: Le départ matinal se passe bien et c'est un joli spectacle que de voir le soleil se lever sur le désert. Au bout d'un moment, la musique commence à devenir écoutable grâce à Radiohead - Creep et au By the Way des Red Hot Chili Peppers, de l'époque où c'était encore écoutable, mais il manque la seule véritable chanson appropriée au décor rocheux que nous traversons à toute vitesse: Life on Mars, de David Bowie.
Les plusieurs heures du voyage sont l'occasion de laisser mon esprit dériver, et lorsque retentit Zombie des Cramberries, je me retrouve le corps dans les montagnes boliviennes, la tête en Irlande du Nord, les mots de Sorj Chalandon devant les yeux... Après avoir contourné la laguna colorada par l'est (à l'aller nous étions passé par l'ouest), je retrouve pour une courte pause le refuge du premier jour dans lequel une autre équipe est en train de prendre son petit déjeuner. C'est à ce moment là que je réalise à quel point ce qui est pour chacun de nous une aventure singulière est en fait un quotidien et qu'il n'y pas de raison de croire avoir vécu plus que ce que c'est en réalité: un joli tour bien organisé qui vaut franchement le coup mais pas l'aventure d'une vie. Ce qui fait joliement écho à la chanson de Radiohead.
La fin du retour se passe très bien, dans le désert saupoudré de la neige tombée derrière nous. De retour au post frontière, je prend le petit-déjeuner avec l'expédition partante (plus réduite que la notre) sous quelques flocons avant de rejoindre un San Pedro chaud et ensoleillé.

PS: J'ai remarqué pendant ce voyage une double résistance. D'abord le soleil qui me marque moins que d'autres et fait ressortir mon cuir espagnol (plusieurs fois on m'a pris pour un chilien. Avant que je ne parle, évidemment.), ensuite ma plus grande résistance au froid, sûrement dû à mon sang ch'ti.
Bien sûr, toute personne ayant la moindre notion de biologie est priée de se taire et de me laisser raconter mes inepties. Non mais.

1: MOI
2: Entre les deux, la vallée est à 4800m et fut un lieu sacré pour les Incas qui venait y célébrer des cérémonies (pas froid les mecs3).
3: Rien de sexiste, je doute juste que le clergé féminin inca eut-été très puissant...4
4: Je me trompe peut-être, mais Wikipedia n'a pas l'air de dire le contraire. Et pour les ronchons qui ne lisent pas l'espagnol (vraiment, je comprend pas...)5
5: Non, en fait, rien. C'était juste pour le plaisir de continuer.
6: En vrai, je ne me souviens plus des roches à cet endroit, mais j'ai noté qu'il y en avait et ça fait bien dans la phrase, alors zut.
7: Et ça je m'en souviens.
8: Au passage, le clavier de cet ordinateur est rigolo: les lettres imprimées s'étant pour la plupart effacées, elles ont été remplacées par des lettres découpées et scotchées de couleurs diverses et variées, ce qui donne l'impression d'un clavier d'anniversaire. Cette remarque était, une fois n'est pas semble devenir contume, tout à fait inutile.
9: petite astuce pour arrêter de dire l'arrêt, et j'espère que personne n'aura besoin de google trad, de reverso ou d'un dictionnaire pour les old school pour traduire "parada" après cette explication.
10: Il s'agit d'un losange blanc où la silhouette noire d'un flamant en vol est représentée, barrée d'un épais trait rouge.
11: Les mines de soufre de la région (on en trouvait aussi en Atacama) servaient à produire de l'acide sulfurique nécessaire à l'extraction du cuivre dans la mine de Chuquicamata, aujourd'hui seconde plus grande mine à ciel ouvert et responsable de la production de 1300000t de cuivre par an.
12: Dédicasse à toi, qui te reconnaîtra, si tu passes par ici...
13: Oui, parce que j'ai oublié de préciser, mais nos guides sont quechuan, se parlent en quechuan et la région est fortement peuplée en descendants de la civilisation Quechua. Le premier qui s'imagine une civilisation fondée sur des tentes repliables se prend une baffe.

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